Voici la question que se posent des gens sensés et
surtout des usagers lésés ! Le vent de la démesure s’est-il engouffré dans
les méandres de la prestigieuse
institution au point d’y balayer la raison pour n’y épargner que la
déraison ? En ligne de mire de cet état de choses, le site Cardinal
Lemoine, sis au 52 rue du Cardinal Lemoine.
Affectés au Collège de France en 1979, ces locaux qui
abritaient l’ancienne Ecole Polytechnique, deviennent opérationnels au tournant
du siècle, c’est à dire il y à peine 17
ans. Suite à des aménagements et adaptations qui s’imposaient quatorze bibliothèques
spécialisées, relevant de lettres et de sciences humaines y sont installées. Riches
en livres rares et parfois même uniques au monde. Chacune dans un cadre idoine,
chacune associée au siège des équipes concernées ou encore à des cabinets
de professeurs: Anthropologie sociale, Extrême-Orient,
Monde méditerranéen ancien, médiéval et moderne, Proche-Orient ancien
(Egyptologie, Assyriologie, Etude Sémitiques), Byzance, etc.
Tout dans ces salles de lecture aussi
spacieuses que lumineuses était conçu pour favoriser le travail : de
larges tables blanches pourvues de postes informatiques et d’accès au WIFI, des
rayonnages agencés de manière à faciliter aux lecteurs un accès direct aux livres.
Pour
beaucoup d’entre nous ces bibliothèques où le confort s’associait à une
ambiance plaisante sont devenues comme une seconde maison. Une maison d’autant
plus accueillante pour des chercheurs avérés qui avaient la possibilité d’y
prolonger les soirées ou encore d’y travailler en fin de semaine. Avantage rare au pays nommé France où
les bibliothèques obéissent pour la plupart au rythme de fonctionnaires, en
respectant la fermeture à 18 heures les jours ouvrables et la fermeture totale
en fin de semaine.
Et
les lecteurs plus jeunes ? Ces savants
en herbe, en général logés à l’étroit et n’ayant pas encore acquis un brin de bibliothèque
personnelle, ont trouvé dans ces salles de lecture un refuge doublement
salutaire.
Lieux
de recherche, lieux de rencontres également, de concertations, d’échanges
fructueux. On butait sur un problème, on cherchait des réponses à des
interrogations, une solution à des doutes on faisait appel à des collègues.
En
2015 des rumeurs alarmantes commencèrent à se propager dans ces havres de paix
du site Cardinal Lemoine. Des travaux de grande envergure, de caractère
« pharaonique » étaient en projet. Rumeurs pas vraiment prises au
sérieux, ces locaux restaurés il y a à peine deux décennies nous paraissant
parfaitement adaptés. Certes, des petites retouches par ci, par là étaient
nécessaires (moquette ou habillage des ascenseurs) mais loin de justifier des
modifications du fond en comble.
Et
puis aurait-on l’idée de se livrer à des gaspillages en cette période de
précarité ? Où l’Hexagone n’échappe pas à la crise ? Au point que
même des institutions importantes comme la Justice ne disposent pas de moyens
pour acquérir des fournitures de base, où le manque de crédits mène à la
fermeture de certains centres de soins. Sans oublier que de plus en plus de Français
ont du mal à joindre les deux bouts ? Ces raisonnements relevant du bon
sens élémentaire nous rassuraient.
Au
fil des mois nous devions réaliser - à nos dépens - que le bon sens n’était
pas toujours de mise ! Les rumeurs se confirmaient, se transformaient en
réalité ! Prenaient corps progressivement. Des bâtiments du site Cardinal
Lemoine feront bel et bien l’objet de modifications grandioses. Tout y passera,
le bruit court que même l’imposant escalier qui dessert les cinq étages ne sera
pas épargné : détruit pour être reconstruit en dimensions réduites afin de
gagner quelques mètres ou centimètres carrés!
Sur
le site du Collège de France, on privilégie le flou quant à ces
travaux : «Le site Cardinal Lemoine nécessite
une restructuration profonde. Les bâtiments qui abritent bibliothèques et
équipes de recherche n’ont pas été rénovés depuis plusieurs années [à
comprendre depuis moins de vingt ans !], et n’offrent plus les conditions
adaptées pour le déroulement des activités ».
On annonce néanmoins que le coût de ce projet s’élève à 30 millions d’euros, « 22 millions d’euros ont déjà été réunis sur des fonds publics,
l’objectif de collecte à 4 ans est ainsi de 8 millions d’euros ». Mais en
se gardant bien de faire miroiter à des mécènes éventuels le caractère
indispensable de telles "restructurations" !
Dans
un premier temps la durée des travaux fut évaluée à deux ans. Erreur de calcul
ou hypocrisie calculée ? Toujours est-il qu’un laps de trois ans se
profila rapidement sur l’horizon ! Trois ans ou le temps d’une génération
d’étudiants… Discrétion à ce sujet sur le site du Collège de France !
Obnubilés
par ce qui semble fleurer une folie des grandeurs, les initiateurs de ce projet
seraient ils préoccupés par l’infortune de la pléthore d’usagers des 14
bibliothèques ? Impuissants, hébétés nous assistions en printemps 2016 au déménagement de leurs
fonds aussi riches que précieux. Entreprise titanesque au spectacle dantesque visant
à les éparpiller dans des salles de lectures diverses et variés, plus ou moins
accessibles, ou encore à les faire croupir dans des dépôts fermés à triple
tour.
Voici
qui ne risque pas de favoriser le
classement de la recherche française à l’échelle mondiale…