Pour briguer son
quatrième mandat le maire de Veules a décidé de renouveler ses troupes. Que
dis-je ! Une partie de ses troupes, la garde rapprochée qui compte les
plus fidèles, les piliers demeurait intouchable. L’esprit dynastique oblige, la
progéniture d’un intouchable conserva également sa place sur la liste.
Pour s’attirer un maximum de voix,
notre édile sacrifia quelques figurants anodins, ainsi sa vendeuse et par la
suite ex-vendeuse, qui le seconda dans sa boutique comme pendant ses deux
mandats. La stratégie s’avéra payante : les nouvelles recrues ont raflé le
plus grand nombre de voix, un score plus modeste étant réservé aux adjoints
fidèles ! Stratégie payante mais à double tranchant : elle entraîna
sans tarder des effets calamiteux.
Avant l’adoubement par un vote
supposé spontané et démocratique qui a lieu lors de la première réunion
officielle, le maire et ses acolytes procédèrent officieusement à une distribution des cartes. Xavier Boulet, le grand gagnant
de sa liste mais peu initié aux pratiques usuelles, sollicita en toute logique
le poste du deuxième adjoint. Vox populi vox dei , « la voix du peuple est
la voix de dieu » cette jolie maxime romaine qui répercute une vérité
essentielle ne semble pas effleurer l’esprit de notre édile. Sans égards, il
élimina de la course aux adjoints ce grand gagnant et lui fit découvrir par là
même une réalité qu’il était loin de soupçonner ! De son côté, notre futur
ex-maire ne tardera pas à découvrir a quel point il a fait une sacrée boulette
en écartant Boulet ! Plus discrètement, Jean-Paul Vast, autre grand
gagnant, prit, lui aussi, le chemin de la démission. Et le nouveau conseil
municipal tomba ainsi sous l’enseigne du nombre 13.
Déçu, révolté, Xavier Boulet
fit le tour du village, informa tout le monde de la manœuvre souterraine,
annonça son intention de présenter sa démission lors de la réunion publique.
Chauffé à blanc, le bon peuple se mobilisa. De mémoire de Veulais on n’a jamais
vu la salle des mariages aussi pleine ! Bourrée à craquer par un publique
assis, debout, débordant dans l’escalier et bien décidé de faire entendre sa
voix. Des répliques peu complaisantes fusaient. « Du grand guignol »
lançait-on du fond de la salle alors qu’on procédait à la cérémonie du vote
pour le maire et pour ses adjoints. Une cérémonie aussi interminable
qu’inutile. Dépassé, l’ex-futur maire se retrancha derrière les
règlements et menaça de faire sortir ceux qui interviennent. « On ne
veut plus de moutons obéissants » renchérissaient en écho les forces vives
du village. Aux protestataires horsains l’édile fraîchement réélu n’hésita pas
à rappeler qu’on était « en
France, en démocratie républicaine et non pas à l’étranger ». Le racisme,
quelle aubaine : c’est la planche de salut pour ceux qui se trouvent à
court d’arguments…
L’attitude du public
aurait-elle déteint sur de nouveaux conseillers municipaux ? Quelques
bulletins inattendus le laissent penser : des bulletins nuls et surtout un
bulletin au nom du maire alors qu’on votait pour son adjoint !
La séance levée, Xavier
Boulet, ovationné, fortement applaudi, s’avança dans la salle pour lire sa
lettre de démission. La gorge nouée par l’émotion, il relata le refus du
maire sous prétexte qu’un nouvel
élu manquait d’expérience nécessaire pour assurer la fonction d’un adjoint. Le
même argument fut évoqué à la presse…
« Le maire a la mémoire
qui flanche ou bien il espère que c’est la nôtre qui a flanché »
rétorquait, sourire en coin, Michel Boquet, son premier adjoint lors du mandat
1995-2001. « En 1995 j’ai été, moi aussi, élu pour la première fois ce qui
n’a pas empêché le maire de me pousser à accepter la tâche du premier
adjoint » !
La séance à peine levée un
jeune homme aux dispositions belliqueuses non déguisées surgit devant moi. Sans
prendre le soin de se présenter,
sans me laisser la possibilité de prononcer la formule d’usage « à qui
ai-je l’honneur », il se mit à m’incriminer, à me fustiger, tel un roquet qui surgit au coin de rue pour
vous aboyer aux trousses. « Vous êtes juste une narcissique qui cherche à
satisfaire ses pulsions narcissiques en répandant son érudition dans les notes
de son blog… » Ce flot de paroles m’empêcha de préciser que ces notes
relataient les scènes de vie alors que l’ « érudition » était
réservée à mes publications scientifiques. Pendant que ses propos s’entassaient
dans mes oreilles, j’entendais comme en stéréo le refrain de cette charmante
chanson pour enfants : Il était un petit homme, petit homme » …
Cette joute oratoire à peine
terminée, les curieux qui l’observaient me révélèrent l’identité du jeune
homme : le fils du maire…
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