Blessées dans
leur cœur, blessés dans leur corps, blessées dans leur âme, blessés dans leur
attachement patrimonial, nombreux Veulais ont adressé des protestations à
leur maire, formulé ouvertement des critiques à son « pion » de
horsain, chargé de leur expliquer leur village. A eux, comme aux
téléspectateurs de France et de Navarre. A moi, qui regardais l’émission sur F
2 à Paris.
Revenue à Veules les Roses, je découvris -
non sans surprise - dans le petit journal édité par les soins de la
mairie, la photo de M. le Maire face à
Stéphane Bern. A côté de la vedette du petit écran notre édile prenait la pose
d’une star, rayonnait de satisfaction ! Tel un paon qui fait la
roue, il exhibait avec fierté ce qu’il devait vivre comme une inespérée
promotion sociale. Promotion sociale ou nouvelle erreur fatale ?! « Ce
qui fait honte à l’intelligent remplit
de fierté le stupide » selon un dicton de mon pays natal.
Je devais apprendre
ainsi que tout au long du tournage M. le Maire était présent mais
silencieux : sans trouver l’inspiration pour évoquer les charmes de son
village, sans tomber dans la tentation de faire part des sentiments éventuels à
son égard, de faire découvrir au pays entier l’ambiance qui y régnait ou
encore d’illustrer une entente éventuelle avec ses sujets. Pardon, avec ses
administrés. Ce panache là fut le lot de ses homologues en charge des autres
villages en lice. Lui, se contentait de suivre les explications au ras des
pâquerettes de son benêt de protégé, par ailleurs – me semble-t-il – flatteur
breveté, et d’agir en sous-main : empêcher des Veulais de souche à
intervenir.
Etant moi-même une horsain, mais Veulaise
d’adoption voici déjà quarante ans, j’ai eu le loisir de pénétrer dans les
méandres de ce village d’exception, de me souder littéralement avec ceux qui le
peuplent. Aussi ai-je évalué à leur juste mesure la gravité de ces erreurs
psychologiques du maire. La portée de leurs séquelles. Estimant, à tort
ou à raison, qu’il était encore temps de limiter les dégâts, il m’a paru
opportun d’essayer à ouvrir le regard de M. le
Maire sur la réalité ambiante.
Par un hasard miraculeux, il apparut un
matin sur la place centrale. Poliment, quasi humblement, je l’abordai en lui
demandant un entretien au sujet du tournage et de l’exclusion des uns au profit
des autres. Dans une réaction vive, sinon violente, il se mit à
vociférer : non, il n’avait aucun droit à la parole, seuls, les réalisateurs
faisaient le choix des intervenants. Ceci affirmé, il
me tourna le dos et partit en proie à une colère indescriptible. Ce faisant, il
offrit un nouvel exemple de cet isolement néfaste dans lequel vous plonge tout
pouvoir qui se prolonge, vous déconnecte de la réalité, du bon sens, de la
commune mesure ; vous rend sourd, aveugle, à la limite, autiste. Ne
vous laisse votre esprit ouvert qu’à une seule chose : la flatterie !
De ces potentats, les béni-oui-oui uniquement peuvent se targuer d’avoir
l’oreille.
Quant à moi, je vis comme dans un éclair, Stéphane Bern en train d’emprunter à
Diogène sa lanterne afin de rechercher à travers Veules les Roses « un
homme vrai, un homme qui ait de la superbe ». La lanterne du cynique philosophe
joua-t-elle un mauvais tour à notre
journaliste-cinéaste ?
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