Les 22, 23 et 24 octobre dernier la 31e chambre du Tribunal correctionnel de Paris avait servi de cadre à un procès peu commun.
A 13 heures 30, la Présidente du tribunal, mme Christine Servella-Huertas, fit résonner sa voix autoritaire : « Que les prévenus viennent devant ». Flanqués de leurs avocats. Un groupe pour le moins hétérogène de neuf personnes s’avança. Une dixième, le muséologue Huber Bari, demeure à l’arrière : faute de place.
En tête, Henry de Lumley, paléontologue de renom, membre correspondant de l’Institut, ancien directeur du Muséum national d’histoire naturelle. A ses côtés, deux ex-employés du Muséum, par rapport à lui de grade plutôt subalterne : Marie-Christine Kronefeld, ancien chef de la division des affaires intérieures et des marchés, et Philippe Marson, ex-responsable du service bâtiment et sécurité de la grande galerie de l'Evolution à Paris. Les six autres sont des entrepreneurs, impliqués dans les travaux au Muséum et soupçonnés d’avoir bénéficié de « marchés frauduleux » grâce au « favoritisme » du directeur et de ses deux collaborateurs. Un directeur qui clame son innocence : son prétendu « favoritisme » résultait juste d’une mégarde : il posait sa signature sur des dossiers sans les lire…
Les bancs réservés au public sont à peine occupés. Des journalistes surtout. Le correspondant de Nice-Matin brille, quant à lui, par son absence. Sans surprise ! Dans les Alpes-Maritimes Henry de Lumley est un grand homme et en tant que tel doit passer pour un homme irréprochable. Savant vénéré … par des politiques locaux au premier chef.
Ni amis, ni frères supporters, ni ennemis, ni adversaires, ni collègues. Une même pudeur aurait-elle paralysé tout ceux qui côtoient Henry de Lumley depuis des lustres ?
Pour ma part, j’ai fait le déplacement. A titre de victime. L’une de ces innombrables victimes que Henry de Lumley a écrasée ou cherché à écraser en usant et abusant de sa puissance. Victimes, car ayant eu la malchance de se trouver sur son chemin … de manière gênante.
Je suivais le procès un peu à la manière d’un spectacle. Voir cet homme altier et dédaigneux tassé sur le banc des prévenus, logé à la même enseigne que ses co-prévenus qu’il devait juger si inférieurs à son rang. L’humilité étant de rigueur, c’est tel un écolier obéissant face à son maître, qu’il se levait à chaque fois où la Présidente du tribunal prononçait la phrase consacrée: M. de Lumley, levez-vous !
Le procès connut le moment fort lorsque la Présidente donna lecture du témoignage de Renée Debar, l’ex-secrétaire générale du Muséum, qui avait averti son directeur, par écrit et oralement, de ne pas apposer sa signature sur des dossiers qui ne lui paraissaient pas conformes. Même plus : elle a osé le mettre en garde qu’il risquait des ennuis. Acte de courage, il lui aurait valu cette riposte : « Je ne crains rien car je suis au-dessus des lois ».
J’ai cru rêver. Voici que la justice immanente vient frapper par le biais de la Justice ! Henry de Lumley, dont l’assurance et l’audace coutumières laissaient en effet apparaître qu’il se sentait au-dessus des lois, se tassa un peu plus sur son banc. Comme atteint par les foudres décochées par cette justice qui nous échappe mais qui arrive si opportunément à nous réfléchir l’image de notre propre condescendance, Henry de Lumley se garda bien de protester … Son avocat observa le même silence.
Le jour suivant, dans son réquisitoire, Mme la Procureur donna à nouveau lecture de témoignage « au-dessus des lois » mais tout en temporisant qu’il n’y avait pas d’enrichissement personnel…
Des ignorants comme moi se demanderont quelle fut la raison d’être de ces « arrangements », de ces « fractionnements » évitant des appels d’offres ainsi que des publications dans le Journal officiel de l’union européenne qui ont abouti à un procès de trois jours…
Condamné ou acquitté, c’est peut-être secondaire. L’essentiel n’était-ce pas le vécu de ce procès où l’on était gagné par l’impression que la justice immanente avait revêtu la peau d’âne afin de lancer l’une de ces ruades dont ces onagres ont le secret ?
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